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L'histoire du monachisme cistercien
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DEUXIEME PARTIE     L'O R D R E   C I S T E R C I E N

5. La vie de saint Pierre de Tarentaise
fondateur de l'abbaye de Tamié 

La renommée de ce saint fut très grande de son vivant. Malgré cela, son nom, aujourd'hui, est absent des calendriers. Cependant, son souvenir reste honoré dans le diocèse de Tarentaise dont il fut l'archevêque au douzième siècle, durant trente-trois ans et dans la famille cistercienne, tout particulièrement à l'abbaye Notre-Dame de Tamié dont il fut l'abbé fondateur.

A. Enfance et jeunesse
Ce saint Pierre est originaire d'un village du Dauphiné, situé dans le diocèse de Vienne. Il est né en 1102. Sa famille est modeste. Pas de misère, mais la simplicité inhérente au monde rural de ce temps. Pierre est le deuxième enfant. Il a deux frères et une sœur. Son aîné, Lambert, suit des études. Pierre montre un grand appétit de connaissances, il lit tout ce qui lui tombe sous la main… pas grand chose ! si ce n'est quelque livre de prières. Son assiduité à l'étude pousse ses parents à le laisser accompagner son aîné. Pas d'école dans le voisinage. Ce serait le curé du village qui enseignait le latin, les « lettres » à quelques jeunes, peut-être deviendraient-ils prêtres…

Les parents de Pierre ont fait le choix d'une vie austère, une vie qui fait place à la prière et qui a en quelque sorte un caractère monacal. Ils veillent à partager leurs biens avec plus pauvres qu'eux…
Ils en viennent à transformer leur maison : ils y préparent pour les voyageurs les meilleurs lits et la meilleure nourriture.
C'est ainsi qu'ils ont l'occasion de faire connaissance de religieux qui, au cours de leurs voyages sont heureux de faire halte dans cette maison accueillante et pieuse ! Parmi eux, des moines de la Chartreuse et des cisterciens de l'abbaye de Bonnevaux, située pas très loin, dans le bas Dauphiné.

A l'âge de 20 ans, Pierre va se présenter à la porte de cette abbaye, bientôt suivi par son frère Lambert. Ils en connaissent donc le Père Abbé et sans doute quelques moines… Plus tard ce sont leur frère et leur père qui les rejoignent, tandis que leur mère et leur sœur entrent au monastère de Notre-Dame de Bonnecombe, non loin de là.

De la vie de ce saint Pierre à Bonnevaux, une dizaine d'années, on ne sait rien. On peut quand même penser qu'il était exemplaire puisque c'est à lui que le Père Abbé, Jean de Valence (du nom du diocèse dont il deviendra évêque), confie la fondation d'un nouveau monastère dans les alpes savoyardes. 

L'histoire de cette fondation mérite une attention particulière qui dépasse la personne de son premier père abbé, nous allons la trouver plus loin.


B. Archevêque de Tarentaise.
pierreLa Tarentaise se situe dans les alpes savoyardes, c'est la haute vallée de l'Isère. Vallée qui permet de communiquer avec l'Italie par le col du petit Saint-Bernard*. C'était une partie de la voie romaine qui menait de Vienne à Milan. 

Le diocèse de Tarentaise dépendait du diocèse de Vienne, il était lui-même archevêché, ayant sous sa dépendance les diocèses de Sion en Valais, Aoste et Saint-Jean de Maurienne.
L'administration de ces terres était partagée entre l'évêque et les comtes de Savoie.

Pierre, abbé de Tamié ne voulait pas « quitter le cloître », la vie de prière, de solitude, qu'était la sienne au milieu de sa communauté. L'épiscopat, à cause de toutes ses charges lui paraissait bien opposé à la vie monastique, il se sentait sans doute dépassé par l'ampleur de la tâche et la perspective d'un fardeau bien lourd à porter ! Le chapitre général de l'Ordre cistercien à la requête du clergé de Tarentaise le pressa d'accepter. Il ne put se soustraire à cette décision, le chapitre étant l'autorité suprême de l'Ordre et une partie des abbés qui le formaient étaient des amis, des saints qu'il vénérait tels que Bernard de Clairvaux, Jean de Valence…

Un moine-gestionnaire avisé
Lorsque saint Pierre de Tarentaise en devient l'évêque, l'état du diocèse de Tarentaise est assez lamentable. Son prédécesseur Isdaël, chapelain du comte de Savoie, avait surtout chercher à bénéficier du pouvoir, dilapidant les biens à son avantage. Sa mauvaise gestion lui valut d'être destitué.
Le nouvel évêque va s'appliquer à réorganiser la vie de prière ainsi que la gestion temporelle.
Au chapitre de la cathédrale il a remplacé les nobles négligents par des chanoines réguliers qu'il accompagne fréquemment en participant aux offices.
Après avoir fait la visite de toutes les paroisses, il en a revu la répartition, spécifiant qui en était responsable, propriétaire, gestionnaire… Il veille à ce que toutes soient pourvues de ce qui est nécessaire à une belle célébration des sacrements et puisse assurer sa subsistance : ainsi l'église ne dépend plus des seigneurs. 
Saint Pierre décidait de visiter régulièrement ces paroisses.

Lui-même continuait à mener autant qu'il le pouvait une vie monastique, respectant les temps de prière et d'oraison, menant une vie austère, gardant l'habit de bure, signe de son appartenance cistercienne.

Un ami des pauvres
La charité de Pierre est légendaire. Il l'avait apprise en famille, il l'avait pratiquée à l'abbaye de Tamié… Sa maison épiscopale est toute grande ouverte aux pauvres avec lesquels il partage des repas. Les nombreux miracles qu'on lui attribue sont tous pour libérer des malheureux de leur éprouvante situation.
Il donne beaucoup, trop au dire de son économe… et quand il n'a plus d'argent il donne celui des autres ! de quelques riches… ceux qu'il connaît, dont il est sûr et avec lesquels il a déjà mené quelques actions charitables. 
Il ne se contente pas de donner, il essaie d'organiser pour changer la condition des démunis. 
La plus célèbre de ces institutions, dont une rue de la ville de Moutiers porte encore le nom est le « pain de mai » : à la fin de  moutiersl'hiver les réserves de vivre étaient souvent épuisées, une distribution de soupe eut lieu pour tous ceux qui en avaient besoin à la porte de l'évêché durant les 28 premiers jours du mois de mai. Ceux qui étaient nantis fournissaient à l'évêque les denrées nécessaires.

Saint Pierre établit des hospices, tout près de son évêché à Moutiers entre autres, il soutint celui du petit saint-Bernard. Dans ces lieux on prenait soin des voyageurs.
Ce n'est pas seulement des secours matériels que l'évêque avait le souci d'apporter aux pauvres. Il leur prêchait la Bonne Nouvelle. Il leur parlait beaucoup, en termes simples pour qu'ils puissent découvrir, comprendre le mystère chrétien. Il préférait cela aux grands exposés qu'il laissait faire à d'autres. c'est peut-être à cause de cela qu'il n'a pas laissé d'écrit…

Lorsqu'il eut remis en ordre son diocèse, Pierre décida de partir : ce qu'on attendait de lui, il l'avait réalisé ! Accompagné d'un guide, de nuit, il prit la fuite jusqu'à un monastère de Germanie. Même si cela n'a été ni simple ni rapide, les savoyards ont bien su le retrouver. Pierre revint et s'appliqua de nouveau de tout son cœur à bien exercer sa charge !

Un célèbre négociateur
A cette époque, nobles et évêques se partageaient la propriété des terres et l'administration des populations. Avec la chute de l'empire romain, toute jurisprudence avait disparu. Quand un conflit surgissait il n'y avait plus - ou pas encore ! - d'institution pour régler les litiges. On faisait alors appel à des conciliateurs.
Pierre de Tarentaise fut l'un de ces hommes avisés auxquels comtes, évêques et pape, furent heureux de pouvoir recourir. Il s'agissait souvent entre évêques et comtes de conflits mêlant leurs pouvoirs respectifs, spirituel et temporel. C'étaient encore des disputes entre comtes, évêques ou abbayes au sujet de leurs possessions, de leur exploitation. Les décisions acceptées par les deux partis étaient notifiées en présence de quelques « grands », évêques et nobles : leur présence authentifiait les accords obtenus.

Parmi beaucoup d'autres, une conclusion d'accord entre le comte de Savoie et l'abbaye Saint-Maurice :

« Au nom de la sainte et indivisible Trinité, nous voulons qu'il soit connu de tous les fidèles du Christ aussi bien futurs que présents qu'Amédée comte et marquis et la comtesse Mathilde son épouse et leur fils Humbert concèdent et rendent en intégralité la prévôté d'Agaune à la communauté des frères de l'église de Saint-Maurice, à Dieu et aux saints martyrs, telle qu'elle avait été tenue par les prévôts des anciens chanoines séculiers au nom de leur église, en retenant le droit de juste et les justes coutumes qui appartiennent au comitatus. »

Comme saint Bernard de Clairvaux quelques années auparavant, c'est la cause du Pape que Pierre de Tarentaise s'appliqua à défendre.
Frédéric Barberousse était alors empereur, il était ambitieux : il voulait restaurer l'empire romain. Pour y parvenir il devait soumettre la ville de Rome et le Pape. Le pape Adrien IV consentit à le couronner mais en revanche, au nom même de cette reconnaissance le prélat opposa à Frédéric maints reproches : répudiation, nouveau mariage, écrasement des populations… En 1158, l'empereur eut recours à un ensemble de légistes qui en se référant au code Justinien, reconnurent son droit d'être un nouveau César, droit à la domination universelle. L'empereur entreprit la conquête des villes d'Italie par les armes. Il persécuta le pape qui dut se réfugier à Anagni. Après la mort de celui-ci, ceux qui avaient le droit et le devoir de le faire élurent un nouveau Pape : Alexandre III. L'empereur de son côté fit élire un de ses comparses sous le nom de Victor IV. Commençait alors un nouveau schisme entre les partisans de chacun des deux papes. Pierre de Tarentaise mit tous ses talents à informer sur la vérité de ces élections, à rallier le peuple chrétien et ses pasteurs à Alexandre III. dans son diocèse d'abord, dans l'ordre cistercien puis, dans les pays voisins. Des miracles accompagnèrent ses prédications… 
Il voulut rencontrer l'empereur. Celui-ci fut plein d'égards envers l'archevêque, mais il resta inflexible.

Dernières années
Dans les dernières années de sa vie saint Pierre de Tarentaise aimait se retirer quelques temps à la Chartreuse. Il y retrouvait la vie de silence et de solitude, favorables à la méditation, à l'oraison, à l'étude à laquelle il n'avait jamais renoncé. L'abondante bibliothèque rassemblée par Guigues était à sa disposition.
Au cours de l'un de ces séjours, il prévoit sa succession, il écrit l'acte de partage des biens de l'Eglise de Tarentaise. C'est le seul écrit de lui que l'on possède. Ce texte que l'on peut considérer comme un testament reflète beaucoup la règle de saint Benoît, surtout en ce qui concerne l'autorité et les rapports entre les personnes.

Malgré son état de santé de plus en plus déficient, saint Pierre poursuivit de nombreux déplacements. C'est au cours d'un voyage en Franche-Comté où il se rendait sur l'ordre du Pape pour régler des affaires au monastère cistercien de Bellevaux qu'il fut pris d'un malaise. Il mourut en cette abbaye le 14 septembre 1174, trente-trois ans jour pour jour après sa consécration à l'épiscopat.

Sur son tombeau on pouvait lire : "Merveille de l'univers"
Saint Pierre avait prié en disant : « Accordez-nous Dieu tout-puissant, de savoir vous rendre grâces pour les bienfaits que vous nous avez accordés, afin qu'à l'avenir nous soyons dignes d'en obtenir de plus grands encore. »

 

En 1841, Baume imprimeur, publiait une vie de saint Pierre de Tarentaise écrite par Jacques-Marie Chevray. Celui-ci expose ce que l'on connaît de la vie du saint. Au dernier chapître de la deuxième partie de son ouvrage, (la troisième partie étant consacrée aux honneurs et culte rendus à saint Pierre après sa mort) il livre un bref portrait du Saint.
En dehors du cadrage et de la police de caractère, ce qui suit reproduit fidèlement les pages du livre de 1841.

Après avoir exposé la vie de leur héros , les historiens ont pour l'ordinaire une tâche difficile à remplir : celle de dissiper des préventions , de prévenir ou de détruire des objections ; souvent ils sont obligés de concilier dans le même homme les graves égaremens d'une époque avec les hauts faits ou les grandes vertus d'une autre époque. Nous sommes heureusement affranchi de ce devoir dans le beau modèle que nous offrons avec confiance à l'admiration chrétienne , où tout est digne d'éloges , où tout devient un sujet d'édification. Point de faiblesses à excuser , point d'objections auxquelles nous devions répondre. Ici l'apologie n'est pas même possible , puisqu'il n'y a pas eu d'attaques dirigées contre notre Saint.
Nous devons encore faire ressortir ici une particularité de la vie de Saint Pierre. L'histoire n'offre peut-être pas de personnage qui ait parcouru une aussi longue carrière que notre Saint ; qui se soit trouvé dans des positions aussi difficiles, surtout aussi variées, quant aux objets à traiter , aux circonstances à ménager , aux travaux et aux entreprises à conduire à leur fin ; et qui ait eu comme lui autant de passions et de préjugés réunis à combattre. Cependant, semblable à la Providence , dont il était une image vivante , saint Pierre procéda toujours avec douceur , et atteignit fortement son but : il ne se créa aucun ennemi personnel et força la calomnie à le respecter en toute occasion. C'est que Dieu lui avait donnée une prudence consommée , une charité immense : « un esprit capable de s'appliquer à autant de choses qu'il y a de grains de sable sur le rivage de la mer »* et qu'il sut faire fructifier ces dons précieux. Il sera dit de saint Pierre, ce qui fut écrit de Salomon : qu'il avait reçu une belle âme. Ses religieux parens l'ornèrent encore dès l'enfance, et il l'embellit lui-même de ces rares vertus par lesquelles il se fit tout à tous et qui lui gagnèrent tous les cœurs. Cette même unanimité de suffrages qu'il obtint pendant sa vie se retrouve dans les historiens après sa mort. Parmi le grand nombre d'auteurs qui en parlent , quoique ils soient d'opinions et de sectes différentes , il n'en est aucun qui ne porte le même témoignage sur saint Pierre , qui n'exalte ses vertus et n'y trouve l'héroïsme. Amis et ennemis du nom chrétien , tous l'appellent Pierre-le-Grand , le thaumaturge du XIIè siècle , le saint Archevêque de Tarentaise , et le titre cité par Baronius qu'offre le mausolée du Saint tel qu'on le lit encore aujourd'hui sur le marbre transporté de Bellevaux à Cirey : miraculum orbis , la merveille ou le miracle du monde , ce titre insigne ne lui a jamais été contesté par personne.

*Premier livre des Rois, chap 4 
La vie de saint Pierre II, archevêque de Tarentaise, Jacques-Marie Chevray, imprimerie Victor Simon 1841, pages 192-194
Deuxième photo, wikipedia commons : Moûtiers, le pont saint-Pierre, l'ancien évêché.

 

UNE GLOIRE DE LA SAVOIE     Saint Pierre II de Tarentaise

Cette figure des plus éminentes de l'histoire religieuse du Moyen-Age, dont les historiens perdaient le souvenir,  vient d'être reconstituée de main de maître par un moine de Tamié* ; ceux qu'intéresse l'histoire de Savoie, son histoire religieuse surtout, se doivent de saluer avec une spéciale admiration et reconnaissance, la résurrection de la mémoire de ce héros de sainteté, de ce pacificateur extraordinaire que fut : Saint Pierre II de Tarentaise (1102-1174), le premier abbé de Tamié, l'archevêque de Tarentaise, le légat du Pape, l'adversaire le plus puissant de Frédéric Barberousse dans la fameuse lutte du Sacerdoce et de l'Empire, l'arbitre des conflits, le grand négociateur de paix de son temps, celui que ses contemporains regardèrent comme « merveille de l'univers », comme en font foi deux mots gravés sur sa tombe « Miraculum orbis ».

(...) Devenu archevêque en 1141, il n'en demeura pas moins moine ; son premier souci fut le culte divin .(...) 
Il parcourut toutes les paroisses du diocèse, s'intéressant à leurs nécessités ; les misères temporelles ne retinrent pas moins sa sollicitude. (...)
C'est pour mieux servir encore les faibles, les opprimés que l'Archevêque de Tarentaise intervint dans de nombreux conflits, comme médiateur, arbitre, rendant d'immenses services à la Savoie.

Ce n'est pas une biographie ordinaire que nous a donnée ce moine qui a voulu garder l'anonymat ; son œuvre n'est pas un recueil de souvenirs conservés par la tradition et parachevés par la légende, le panégyrique ; c'est une reconstitution complète et historique de la vie et de l'action prodigieuse de Saint Pierre de Tarentaise.
L'auteur n'a pas parcouru moins de 120 ouvrages, un bon nombre anciens, en latin, pour y glaner tout ce qui intéressait son héros ; pour une telle œuvre, il ne suffisait pas de recueillir les matériaux qui intéressaient Pierre II de Tarentaise. Il fallait encore situer son œuvre dans l'histoire civile et religieuse ; l'auteur y a parfaitement réussi : riche d'une documentation rare et très sûre, d'une plume qui sans doute a déjà fait profession, l'auteur fait revivre avec le plus vif intérêt cette figure éminente qui n'intéressera pas seulement les âmes en quête de vies édifiantes, mais qui doit prendre un relief plus grand dans notre histoire locale, et dans l'histoire tout court.

* Saint Pierre de Tarentaise, essai historique par un moine de Tamié. Collection « moines et monastères », Direction de la Revue Mabillon à Ligugé, (Vienne)
Abbé J. Chavanne  dans « Mémoires et documents de l'Académie salésienne d'Annecy », livre 54, p. 55-59. 1935