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Pour le temps du CAREME

MEDITATION SUR LA CROIX DE CENDRES
Frère Christophe, homélie

Jésus va nous « croiser », nous marquer du signe de sa croix.

Recevoir la croix de cendres c'est recevoir un secret... Ton Père voit ce que tu fais en secret : il voit ta vie greffée sur la croix et qui porte du fruit, même si à toi elle semble stérile, inutile. La croix est un secret d'amour : et Dieu brûle de le voir enflammer tous les cœurs. Ce carême, ici, à Fès, c'est aussi un secret : celui du grain qui tombe ici en terre.

Recevoir la croix des cendres, c'est recevoir un signe de lumière. Oui, car nous savons que lorsqu'il paraîtra, nous lui serons semblables puisque nous le verrons tel qu'il est. Quiconque fonde sur lui, Jésus, une telle espérance, se rend pur comme lui Jésus est pur. Les jours de Carême sont des jours saints, non pas du fait de nos bonnes actions mais par ce que Jésus est saint nous sanctifiant dans l'Esprit.

La croix des cendres, c'est aussi un signe de ressemblance, et d'appartenance : Jésus est le premier-né d'une multitude de frères qui retrouvent en lui le Fils bien-aimé : la gloire des enfants bénis du Père, regardés par le Père, qui voit dans le secret ce que je suis en vérité.

La croix des cendres : un signe de victoire. Parce que ces jours sont un combat. Il s'agit de refuser comme illusoire toute victoire qui ne serait pas celle de Jésus le crucifié ressuscité, le Serviteur exalté, obéissant jusqu'à la mort, glorifié auprès du Père, élevé. Jésus nous donne son signe : ton combat est le mien pour le salut de ce monde, n'aie pas peur, je suis vainqueur. Pose-moi comme un sceau sur ton cœur (Ct 8, 6) le lieu et l'enjeu de ce combat, c'est notre cœur et nous accueillons la croix des cendres comme une blessure car l'Amour est fort comme la Mort (Ct 8, 6)

Une blessure d'amour. Ecoutons Bernard : « Marie l'a reçue dans son être : une grande et douce blessure d'amour ; pour moi, je m'estimerais heureux si de temps à autre, je pouvais me sentir frappé au moins par l'extrême pointe de ce glaive ». Marie a résisté à toute tentation : à l'abri du très Haut. Marie a vaincu : son armure, son bouclier, c'est la Fidélité à son Seigneur. Marie repose à l'ombre du Puissant, elle ne craint pas le Mal. Près d'elle, recevons, recevons la croix des cendres comme un signe de Pâque. avec elle, entrons dans la joie du saut, acceptons d'être imposés, acceptons d'être sauvés, d'être aimés.

Mercredi des Cendres, Fès 13 février 1991 Cité dans "Lorsque mon ami me parle" Ed Bellefontaine

13.03.2018

« Ma vie, on ne me la prend pas, c'est moi qui la donne » (Jn 10, 18)

Laissons tomber les préjugés, pour être les compagnons de Jésus, dans la joie, l'amour et le don...

C'est dans un cœur ouvert par une mort infâme qu'il nous faut lire la vie bienheureuse qui est le secret d'amour de Dieu.

Deux connaissances de Dieu qui s'affrontent :
le grief : « Il prétend posséder la connaissance de Dieu et s'intitule fils du Seigneur. »
Jésus :« Nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le fils veut bien le révéler. »

C'est là que s'affiche l'erreur de juger. Les impies ne sont pas dans la vérité... Ils pensent faux, nous pensons faux... et nous imaginons que Dieu doit penser comme nous. Nous concevons le BIEN selon nos catégories, c'est-à-dire que nous concevons MAL. On va tester le juste : voir si Dieu va le délivrer de notre piège. De même les frères de Jésus : « Monte à Jérusalem. Fais-y des miracles, on croira en toi... ». Jésus monte en secret, INCOGNITO. On accuse le juste de connaître Dieu, mais on veut lui imposer l'image de Dieu qu'on se fait : un Dieu qui assiste, délivre, intervient, se fait voir, fait des miracles au dernier moment, renverse les impies, descend de la Croix, envoie une armée d'anges... qui doit obligatoirement empêcher une « mort infâme » pour le juste. Si celle-ci se produit c'est que Dieu n'était pas AVEC. Autrefois on disait : « le mort était impie, Dieu l'a puni ». Aujourd'hui on dirait : « Ce mort était juste, Dieu n'existe pas ».
La réalité : « Ils ne connaissent pas les secrets de Dieu » Et JESUS dans toute sa personne est un/le SECRET de Dieu. Le Messie. Nul ne connaît le Fils si ce n'est la Père. Jésus est né de Père inconnu : Dieu, nul ne le connaît !

Il était la Vérité qui rend libres ceux qui la font.
Il avait la docilité de l'agneau, et l'assurance du pasteur qui sait le chemin.
L'obéissance c'était sa vie. Il n'était vraiment que cela parmi nous : obéissance aux Ecritures, c'est clair, mais aussi aux événements, et aux hommes qui en auront fait ce qu'ils ont voulu.

Mais ce que  tu ne savais pas, Père, tu l'apprends maintenant en contemplant la Croix avec la même stupeur que nous : c'est cela que l'obéissance est devenue entre nos mains depuis que tu nous l'as confiée.
Elle était ton trésor en paradis, où puiser la liberté des enfants de Dieu. Nous l'avons travestie, détournée de sa source ; elle est devenue cela qu'il a appris à ses dépens : nos caprices et nos entêtements, nos révoltes et nos servitudes, nos complicités et nos tyrannies, tout cela qui est impasse, mensonge et meurtre et qui nous dénature.
Nous avons su goûter le fruit défendu de la désobéissance ; nous avons même appris à observer tes paroles en Te faisant parler autrement... D'ailleurs, n'est-ce pas au nom de Ta loi que nous l'avons condamné ? Oui, Père, il aura vraiment appris ce qu'il en coûte d'incarner l'obéissance du Fils unique, à contre-courant, à contre-pente de cette humanité qui ne T'avait construit un Temple que pour y trafiquer ton culte.

Alors, Père, Celui-là que tu as exaucé parce qu'il s'est soumis en tout, entends-Le, obéis-Lui volontiers quand il reste fidèle à lui-même en Te priant de nous pardonner encore et encore, parce que nous ne savons pas ce que nous faisons.

Frère Christian de Chergé - Cité dans « L'autre que nous attendons »

 

18.02.2018

Saint Bernard l'évoque dans son commentaire du cantique des cantiques :
« J'ai cherché celui qu'aime mon âme. » Qui parle ? L'époux ou l'épouse ? Les deux sans aucun doute.
Seul un amour passionné permettra à quelques-uns, quelques-unes, de parvenir au Golgotha.
Ne prétendons pas être de ceux-là, mais de ceux qui, quel que soit leur chemin, oseront accueillir le regard de Jésus, regard chargé d'amour.

C'est de Jésus lui-même que nous apprenons à aimer. Que le langage de saint Bernard qui n'est pas tout à fait le nôtre, ne nous empêche pas de progresser dans la connaissance, la perception de cet amour.

« Dans mon petit lit, au long des nuits j'ai cherché celui qu'aime mon âme. » (Ct 3, 1)

A mon sens, même quand il aura été trouvé, il ne cessera pas d'être cherché.
Ce n'est pas par le mouvement des pieds, mais par les désirs que Dieu est cherché.
Et l'heureuse découverte, loin d'éteindre le saint désir, l'attire.
La consommation de la joie consumerait-elle le désir ?
Elle est bien plutôt l'huile pour lui qui est une flamme.

Oui, c'est ainsi, « L'allégresse atteindra sa plénitude » (Ps 15, 11) ; mais le désir n'aura pas de fin, et par conséquent la recherche non plus. (§ 1)

« J'ai cherché, dit l'épouse, celui qu'aime mon âme. »
Oui, c'est à cela que te provoque la bonté de celui qui te prévient, qui a été le premier à te chercher et le premier à t'aimer.
Tu ne chercherais certes pas si tu n'avais d'abord été cherchée, comme tu n'aimerais pas si tu n'avais d'abord été aimée.
Ce n'est pas par une seule bénédiction que tu as été devancée mais par deux : l'amour et la recherche. L'amour est la cause de la recherche, la recherche est le fruit de l'amour ; elle en est aussi l'assurance.
Tu as été aimée, pour que tu ne risques pas de te croire cherchée en vue du châtiment. Tu as été cherchée, pour que tu ne te plaignes pas d'avoir été aimée en vain. Cette double douceur si agréable que tu as éprouvée t'a donné le courage d'oser, a chassé la honte, t'a persuadé le retour, a éveillé ton affection. De là cet empressement, de là cette ardeur à chercher « celui qu'aime ton âme ». Certes, sans avoir été cherchée, tu ne pouvais pas le chercher ; mais cherchée, tu ne peux plus maintenant ne pas le chercher. (§ 5)

Tu devrais te cacher et tu cherches la lumière ; tu cours à ton Epoux quand tu mérites des coups bien plus que des baisers ? Il serait étonnant que tu ne te heurtes pas à un juge plutôt qu'à un époux. Heureux celui qui entendrait alors son âme répondre à ces reproches : Je ne crains pas parce que j'aime, ce qui serait absolument impossible si je n'étais pas aimée. C'est donc que je suis encore aimée. La bien-aimée n'a rien à craindre. Moi qui aime, je ne puis douter d'être aimée, pas plus que je ne doute d'aimer. Je ne redoute pas le visage de celui dont j'ai ressenti l'amour. En quoi l'ai-je ressenti ? En ce que non seulement il m'a cherchée dans l'état où j'étais, mais qu'il m'a aussi donné son affection, me rendant ainsi assurée de sa recherche. Pourquoi ne répondrais-je pas à sa recherche, moi qui réponds à son amour ? Va-t-il s'irriter d'être cherché, lui qui, même méprisé, n'a fait semblant de rien ? Bien mieux, il ne repoussera pas celle qui le recherche, lui qui recherche même celle qui le méprise. (§ 7)

Extrait du sermon 84 sur le Cantique des cantiques.

TEMPS DU CAREME 2017

Liturgie du mercredi des cendres :
« Convertissez-vous et croyez à l'Evangile » (Mc 1,15)

                                    EN  ETAT  DE  CONVERSION
Qu'en est-il pour nous, chrétiens d'aujourd'hui ?
Exposé de Don André Louf. (Il était alors abbé de l'abbaye du Mont-des-Cats)

La Bible parle souvent, et très explicitement, de conversion, et de la conversion de chacun. La première Bonne Nouvelle, que nous entendons de la bouche de Jean-Baptiste, se résume même dans cet appel vigoureux : « Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est proche ». Ce terme de conversion est la traduction du mot néo-testamentaire metanoein, qui essaie de rendre le mot hébreu shûb. Cette dernière racine sémitique signifie tout simplement se retourner, revenir sur ses pas, et seulement par dérivation, se convertir. L'accent est donc placé sur le retournement cascadequi se produit. La racine sémitique nous apprend ce qui est bouleversé par un tel retournement : le noûs, c'est-à-dire le fond spirituel, notre cœur le plus profond. Il s'agit donc d'une révolution à l'intérieur de nous-mêmes. Ailleurs (Ac 3, 19), la Bible parle de se laisser totalement bouleverser, révolutionner, pour se tourner vers quelque chose ou quelqu'un, pour s'engager dans une nouvelle direction.

Ici surgit la question : en quel sens avons-nous encore aujourd'hui besoin de conversion ?
Le péché, la conversion et la grâce ne sont pas simplement trois étapes qui se succéderaient. Dans la vie quotidienne, elles sont parfois inextricables. Elles croissent ensemble, dans une interdépendance. Je ne suis jamais totalement dans l'une ou dans l'autre. Je suis sans cesse dans les trois à la fois. Le péché, la conversion et la grâce sont mon pain, mon lot quotidiens.
Ces trois étapes ne représentent pas trois degrés d'une échelle de valeurs. Nous ne passons pas de l'un à l'autre, comme si nous montions les marches d'un escalier. Nous restons toujours pécheurs, nous sommes sans cesse en train de nous convertir, et dans cette conversion nous sommes continuellement sanctifiés par l'Esprit de Dieu. Nous ne sommes jamais que des pécheurs, des pécheurs pardonnés, des pécheurs-en-pardon, des pécheurs en conversion. Se convertir c'est toujours recommencer ce retournement intérieur par lequel notre pauvreté humaine se tourne vers la grâce de Dieu. De la loi de la lettre, elle passe à la loi de l'Esprit et de la liberté. Ce retournement n'est jamais terminé, car il ne fait jamais que commencer. En effet, la conversion est toujours une affaire de temps. L'homme a besoin de temps et Dieu veut avoir besoin de temps avec nous. C'est un temps dont nous pouvons faire usage pour rencontrer Dieu une fois de plus, et toujours mieux le rencontrer dans son admirable miséricorde. Aujourd'hui le temps nous est donné pour connaître Dieu de mieux en mieux. C'est toujours un temps de conversion et de grâce, don de sa miséricorde.

Dieu s'occupe ainsi de nous chaque jour. Il nous appelle à la conversion : « Aujourd'hui si vous entendez sa voix porten'endurcissez pas votre cœur » (Ps 94). C'est à ce retournement intérieur que la grâce nous pousse jour après jour. Dieu, d'innombrables manières, vient nous toucher pour nous apprivoiser à cet état de conversion. Nous-mêmes, nous ne pouvons que nous préparer à être touchés ainsi par Dieu. Oui, il devra se passer bien des choses, et tout à fait en dehors de notre bonne volonté ou de notre générosité naturelle. Ce retournement implique que nous soyons ébranlés jusque dans nos fondements. Quelque chose doit s'effondrer.

Cet écroulement n'est qu'un commencement, mais déjà plein d'espérance. Il ne faudra surtout pas essayer de rebâtir ce que la grâce a démoli. Nous devons apprendre à demeurer auprès de nos ruines, à nous asseoir dans les décombres, sans amertume, sans nous adresser de reproches et aussi accuser Dieu. Il nous faudra nous appuyer contre ces murs en ruine, pleins d'espérance et d'abandon, avec la confiance d'un enfant qui rêve que son père raccommodera tout. Car il sait, lui, comment tout peut être rebâti autrement, bien mieux qu'avant. Celui qui s'abandonne au point de se réjouir et de demeurer content de sa propre misère, celui-là s'est déjà rendu à l'amour libérateur.
C'est bien cela cette merveille du pécheur-en-train-de-se-convertir, dont Jésus lui-même reconnaît qu'elle correspond à la plus grande joie du Père dans les cieux :« En vérité je vous le dis, il y aura plus de joie au ciel pour un seul pécheur qui se repend que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentir. » (Luc 15, 7)
Hors de la conversion nous ne pouvons pas nous tenir en présence du vrai Dieu, car nous ne serions pas auprès de Dieu mais auprès d'une de nos nombreuses idoles... De plus, sans Dieu nous ne pouvons demeurer dans la conversion car celle-ci n'est jamais le fruit de bonnes résolutions ou de quelque effort soutenu. Elle est le premier pas de l'amour, de l'Amour de Dieu beaucoup plus que du nôtre. Se convertir c'est céder à l'emprise insistante de Dieu, c'est s'abandonner au premier signe d'amour que nous recevons de lui. Abandon donc, dans le sens fort de capitulation. Si nous capitulons devant Dieu, nous nous livrons à lui. Car toutes nos résistances fondent alors devant le feu consumant de sa Parole et devant son regard et il ne nous reste plus que la prière du prophète Jérémie : « Bouleverse-nous (littéralement : retourne-nous), Seigneur, et nous serons convertis » (littéralement : retournés) (Lm 5, 21, cf Jr 31,18).

Dom Louf - cité dans "Au gré de sa grâce"

TEMPS DU CAREME 2017 (2)

  EN  ETAT  DE  CONVERSION, (suite)

Le croyant est sans cesse dans le retournement de la conversion, abandonnant les idoles pour se convertir au Dieu unique et vrai. Se garder des idoles, et confesser le Dieu véritable sont constitutifs de l'existence du croyant.
L'idolâtrie demeure toujours comme un courant souterrain dans le peuple croyant. Idolâtrie dont Israël doit sans cesse être délivré, car le danger est grand qu'il ne s'écarte du vrai Dieu et ne soit bientôt sollicité par les idoles.

Le message de Jésus était très simple. Il était le prolongement de ce que les prophètes avaient annoncé avant lui. Mais Jésus devait mourir à cause de ce message. Car le Yahvé des Juifs de son temps, honoré d'un culte presque fanatique, avait été à tel point changé par eux en un faux dieu, qu'ils n'étaient tout simplement plus capables de le reconnaître en Jésus et en son Père.

Et les faux dieux d'aujourd'hui ?
Il y a plusieurs sortes d'idoles et les plus dangereuses ne sont pas celles que nous façonnons de nos mains, mais celles que nous portons bien inconsciemment dans notre cœur.
Nous portons tous en nous des germes de cultes naturels, d'observances légalistes, de ritualismes. Il y a aussi un Dieu pour les Pharisiens - ce Dieu auquel Jésus s'opposa si impitoyablement - grâce auquel nous pouvons placer toute notre certitude et confiance en nous-mêmes et en nos œuvres.marionnette Un tel Dieu nous barre le chemin, et nous empêche de voir le vrai Dieu et de nous reposer en lui seul. Même ce qu'il y a de meilleur peut être déformé ; tout peut se mettre au service de nos idoles domestiques. Même la grâce peut être détournée de manière très subtile pour être offerte - en même temps qu'elle est réduite à néant - en l'honneur de notre idole. Même la Parole de Dieu peut être lésée. La Parole peut même devenir un faux-fuyant, un prétexte pour nous abstenir de nous engager envers Dieu. Nous pouvons manier et manipuler la Parole de Dieu avec tant de facilité qu'elle peut devenir comme un mur fortifié au travers duquel la grâce ne peut plus se frayer un chemin.
Devenir conscient du risque que nous courons est toujours bénéfique. Car les illusions en ce domaine sont fréquentes. La vertu, la générosité, les désirs de perfection ou de sainteté, les techniques de prière, même ce que nous considérons comme notre prière la plus intime, y compris les principes sacro-saints de la morale, peuvent devenir une manière de fuir Dieu, un effort désespéré pour éviter d'entendre sa voix, pour nous cacher loin de sa Face et de ce qu'il veut nous dire. Même ce que nous faisons pour les autres et pour l'Eglise de Jésus peut n'être qu'une sorte d'expédient, très éloigné de notre moi le plus profond, fort éloigné de Dieu aussi et de sa voix dans notre cœur.
Ceci n'a d'ailleurs rien de tragique. D'abord parce que cela arrive couramment, si couramment même que l'on peut dire que, pour la plupart, cette illusion constitue une étape normale. Ensuite, parce que Dieu le permet ainsi. Dieu l'agrée provisoirement, et ce provisoire peut durer tout un temps. D'ailleurs nous n'appellerions pas idole ce qui n'aurait rien à voir avec Dieu, et qui ne serait pas son reflet ou sa trace ici-bas. Depuis des siècles, Dieu est inlassablement occupé à nous montrer le chemin vers lui, dans sa création. Il le fait auprès du païen de nos jours, et jusqu'au païen qui se cache en chacun de nous, sous le couvert de la foi.
mannequinCe Dieu pour qui, pendant des années, j'ai brûlé mon encens, ce Dieu-là n'existe pas. Il n'a jamais existé, si ce n'est dans mon imagination. Ce Dieu là est mort. Et aussi longtemps qu'il ne le serait pas, il faudrait veiller à le faire mourir un jour, pour être à même d'établir le contact avec le seul vrai Dieu et lui être attentif. J'avais moi-même façonné et élevé cette idole. Elle n'était que « l'œuvre de mes mains » comme dit la Bible. Tout cela reflétait beaucoup de bonnes intentions. Cette vie, nous la mesurons à l'idéal que nous nous sommes fixé, ou que nous nous imposons à nous-mêmes et aux autres, pour lequel nous sommes prêts à nous dépenser, projetant sans cesse de mieux le réaliser. La peine qui en résulte et l'impression constante d'échec qui nous accable constituent la petite fissure, à peine visible, au travers de laquelle la grâce essaie de se faufiler en nous.
Nous voilà au pied du mur. Nous voilà devenus la cible vivante que Dieu veut briser pour rebâtir autre chose. Car il est « celui qui blesse et qui panse la plaie » (Jb 5, 18). Il nous faudra l'accepter avec une calme confiance et un humble abandon. Il nous faudra  attendre, avec une joie secrète mais profonde : peu à peu Dieu nous ouvre les yeux. Son regard libère le nôtre. Jusqu'à présent, nous ne l'avions connu que par ouï-dire. Bientôt, très bientôt, nous le verrons de nos propres yeux.

Dom Louf - cité dans "Au gré de sa grâce"

TEMPS DU CAREME 2017 (3)

Vivre dans la tentation !

Suite de l'exposé de Don André Louf.

Quand nous parlons de la foi, nous pensons spontanément aux vérités de la foi. Je peux beaucoup savoir au sujet de la foi, et aussi beaucoup partager cette connaissance avec d'autres, sans jamais faire le pas décisif de la foi qui implique toujours un abandon existentiel à Jésus. On s'est contenté de transmet re un ensemble plus ou moins correct de vérités sur la foi, en même temps qu'on s'est efforcé de donner l'exemple d'une vie loyale mais où la grâce a très peu de part. Mais on a rarement appris comment être attentif à la vie de la grâce en soi, et comment vivre et aimer au gré de cette vie. La foi juive était constituée par un abandon total à la parole de Quelqu'un en qui elle avait pleine confiance, par un « oui » à la Parole de Dieu. Dieu ne va pas fléchir ; nous pourrons toujours compter sur lui. Croire, c'est s'appuyer sur cette solidité de Dieu. Dans l'évangile Jésus se tient devant chaque homme avec toute la plénitude de son amour et de sa puissance, mais la plupart d'entre eux ne sont pas branchés sur lui. C'est pourquoi il ne peut pas intervenir. Ce que Jésus cherche, pissenlitc'est notre plus grande pauvreté en même temps que notre abandon aveugle. C'est là le terrain où il va, aujourd'hui, par sa puissance et à travers notre foi, opérer des merveilles.


Dieu nous reste inébranlablement fidèle. Or cette fidélité se vérifie d'une façon éclatante à l'heure de la tentation. Il n'y a pas de foi qui ne soit éprouvée, comme il n'y a pas d'arbre qui ne doive être émondé pour porter encore plus de fruit. (Jn 15,2)  Dans toute expérience chrétienne, il faut vivre ainsi : tiraillé entre la ferveur et la faiblesse, c'est-à-dire : vivre dans la tentation. Les quelques traits que les évangiles nous ont laissé de l'apôtre Pierre nous le décrivent de manière transparente et pittoresque : un excellent homme, rude, impétueux et étourdi qui ne maîtrise pas toujours ses sentiments. De toute évidence, il aime Jésus et lui est éperdument attaché. Plus il commet de fautes et se fait réprimander par Jésus, plus aussi il l'aime. Non, Pierre n'est pas un modèle de vertu. Mais il est capable de transmettre l'expérience qu'il a lui-même vécue par amour pour Jésus et dont il pourra toujours témoigner. papillonBien sûr la tentation l'a fait fléchir, mais au cœur de celle-ci et au plus profond de sa chute, il a été merveilleusement libéré par Jésus. Par son expérience il peut savoir comment la faiblesse et la grâce vont de pair et s'ajustent l'une à l'autre en chaque disciple de Jésus.

Jésus fut crucifié et est mort à cause de la faiblesse de l'homme, faiblesse qu'il a prise sur lui jusqu'à l'extrême ; mais à partir de cette faiblesse il est ressuscité et vit maintenant par la puissance de Dieu. Le disciple qui veut servir Jésus dans sa voie à lui, doit nécessairement, et à son tour, accepter sa faiblesse et donc la tentation. Aussi longtemps que nous nous opposons de mille manières à notre faiblesse, la puissance de Dieu ne peut agir en nous. Bien sûr, nous pouvons faire quelque effort pour corriger un tant soit peu notre faiblesse, mais en fait, cela ne sert à rien. Car la merveille de la puissance de Dieu et la merveille de notre conversion sont hors de notre portée. Nous essayons de réussir à partir de notre loyauté, de notre générosité... Tout cela dure un temps jusqu'à ce que nous menacions ruineeffeuillé au bord de l'écroulement. Il en va ici d'une donnée essentielle de toute expérience chrétienne, qui est sans doute la seule condition pour être touché par la grâce et pouvoir consentir à elle. La grâce ne vient pas se greffer sur notre force ou sur notre vertu, mais seulement sur notre faiblesse. Elle suffit alors largement ; et nous ne sommes forts que lorsque notre faiblesse nous est évidente. Elle est le lieu béni où la grâce de Jésus peut nous surprendre et nous envahir. Il faut déjà avoir une certaine expérience de l'amour de Dieu pour oser demeurer dans sa faiblesse et se réconcilier avec son péché. La sainteté ne se trouve pas à l'opposé de la tentation. Elle ne nous attend pas au-delà de notre faiblesse, mais à l'intérieur même de celle-ci. Echapper à la faiblesse serait échapper à la puissance de Dieu qui n'est à l'œuvre que dans celle-ci. Il nous faut donc apprendre à demeurer dans notre faiblesse mais armés d'une foi profonde ; accepter d'être exposés à notre faiblesse en même temps que livrés à la miséricorde de Dieu. Au moment où Pierre a lâché prise à l'égard de Jésus il se surprend en flagrant délit de trahison, c'est là que le regard d'amour de Jésus le touche et le blesse, et, au même moment, lui offre son pardon, mais il appelle Pierre à une vie nouvelle. Car, dès cet instant, Pierre est devenu un autre homme. Il sait maintenant ce qu'est l'amour. Jésus par son regard d'amour ne l'a pas abandonné à sa souffrance et à son désespoir, mais lui a donné, en personne, sur-le-champ, un nouveau signe d'amour.

Dom Louf - cité dans "Au gré de sa grâce"

TEMPS DU CAREME 2017 (4)

La Prière : un cri, une présence...

Suite de l'exposé de Don André Louf.

nuagesAussi longtemps que nous demeurons dans l'impasse, nous éprouvons de l'incertitude, de l'angoisse, du désespoir même, Où en sommes-nous ? Qui viendra nous en sortir ? Spontanément l'appel au secours jaillit : « Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur ! » (Ps 129,1). Et c'est ainsi tout naturellement, que la forme la plus primitive et la plus élémentaire de prière nous vient aux lèvres : le cri. Je suis tenté de crier ma détresse. Mais puis-je m'y risquer ? Ne vaudrait-il pas mieux ne pas céder à ce qui peut paraître une faiblesse ? Au contraire. Voici précisément un instant de la plus grande importance : lorsque tout en priant j'ose exprimer par un cri ma détresse devant la face de Dieu.
Crier est une activité profondément humaine. Ce fut la première apprise lors de notre venue au monde. C'est alors que nous avons crié, inventé le cri. C'était un cri vital, qui nous sauvait pour la vie. Car tout en criant notre détresse, nous avons ouvert nos poumons à l'air, à la vie. Chaque fois que nous nous trouvons dans une situation difficile, l'écho de ce cri revient à la surface. Pouvoir crier notre détresse est alors un grand soulagement et, en certains cas, constitue le premier pas vers la guérison.
L'on naît dans un cri. L'on vit aussi en criant, bien que souvent de manière inconsciente. Jésus mourut en criant : « Il cria d'une voix forte » (Luc 23, 46). Il cria face à son Père sa douleur mortelle, mais aussi son amour et son abandon : « Entre tes mains, je remets mon esprit ». Sa mort fut un appel d'angoisse et de confiance à la fois, une véritable prière.croix
Dieu attend notre cri pour compatir à notre désespoir, comme il attendait les cris de son Fils Bien-Aimé, Jésus-Christ, car ce cri et cette impasse sont la seule voie par laquelle il puisse nous sauver. 
Savoir crier cette détresse est une étape importante. Ce faisant nous nous familiarisons peu à peu avec elle, ce qui est tout à fait positif. Nous ne refusons plus notre misère. Au contraire : nous nous identifions si bien à elle que nous sommes devenus capables de l'exprimer en un cri qui est déjà prière.
Chaque besoin, peine ou désir, est une donnée humaine des plus précieuses. Chacun de nos désirs est digne d'être entendu et exaucé. Si étrange qu'il paraisse au premier abord, il recèle un besoin bien plus profond encore, qu'il est urgent d'exaucer. C'est pourquoi chacun de nos besoins sera écouté avec attention et amour. Peu à peu nos besoins seront ainsi dévoilés, libérés, jusqu'à ce que notre désir le plus profond vienne à la lumière. Parce que ce désir le plus profond a toujours quelque chose à faire avec Dieu, le grouillement de nos désirs a aussi toujours affaire avec l'impasse de la prière. Chaque désir est destiné à être entendu et guéri par la Parole de Dieu, à laquelle nous nous ouvrons, pleins d'espoir, à l'heure de la prière.
Un cri n'est pas seulement l'étalage d'une détresse. Il s'adresse toujours à quelqu'un. Et voilà un élément essentiel de toute prière. Si je m'adresse à quelqu'un, je sors effectivement de moi-même pour faire appel à un autre. Ce n'est pas aussi facile qu'il y parait au premier abord, surtout quand je suis occupé à prier. Seule une situation d'urgence nous force pour ainsi dire à sortir de notre coquille pour en appeler à un autre.
Ce n'est pas toujours ce qui se passe à l'heure de la prière. Je puis être occupé par quelque idée fort édifiante, et des idées sur Dieu, il y en a à foison. Je puis encore cultiver des sentiments, prendre de bonnes résolutions, faire des projets de sainteté ou d'engagement au service des autres. Et me voici encore et toujours occupé de moi-même, de mes sentiments, de mes résolutions. Seul un cri est capable de m'ouvrir. C'est là un pas important dans la bonne direction. Tout au fond de moi, je suis moi-même ce cri qui demande la guérison ; et aussi le cri par lequel je vais guérir. A travers tous ces cris, je vais pénétrer jusqu'au cri le plus fondamental en moi, le cri que je n'ai encore jamais bien su écouté, celui de l'Esprit-Saint : Abba-Père !

Dom Louf - cité dans "Au gré de sa grâce"

 

 

Une manière de penser le carême

« C'est là, peut-être, frères, ce véritable carême qui doit être le vôtre : non pas extérieur mais intérieur. »

Les textes choisis sont tirés d'un sermon de saint Bernard de Clairvaux, vingt-deuxième sermon d'un ensemble de « Sermons divers ». Divers par la forme et le contenu, ils ne forment pas un tout cohérent comme les « sermons pour l'année », par exemple. Ce qui fait leur unité, ce sont les grands thèmes que l'on retrouve dans toute l'œuvre de saint Bernard et des écrits cisterciens.

Ce sermon 22 a pour titre : « Sur la quadruple dette », titre attribué par les copistes, et non par l'auteur. « La réflexion de Bernard se porte sur le chemin spirituel des moines : leurs difficultés, leurs progrès, leurs joies, leurs raisons de vivre », pour les entraîner toujours « du bien vers le mieux ».
« Après avoir tant reçu, le moine en vient à oublier que tout est grâce, que rien ne lui est dû, jusqu'à ne plus porter son regard sur le donateur et ne plus lui rendre grâce. » Ce préambule,  trouvé au sermon 15, convient bien à introduire ces textes des quatre dettes.

 

Première dette : envers le Christ
Saint Bernard nous invite (comme en d'autres écrits !) à contempler comment s'est manifesté l'amour du Christ envers nous... alors nous pourrons prendre conscience de ce que nous lui devons et nous serons entraînés à lui répondre par l'offrande de nous-mêmes...

Veux-tu savoir ce que tu dois et à qui ?
En premier lieu c'est au Christ puisqu'il a lui-même donné sa vie pour la tienne, supportant d'amers tourments pour que tu n'aies pas à en subir d'éternels.
Que pourras-tu trouver de dur et de terrible, lorsque tu te souviendras qu'« il était dans la condition de Dieu » (Phil 2, 6), « au jour de son » éternité, « engendré dans la splendeur de la sainteté avant l'aurore » (Ps 109,3), « lui la splendeur et l'image de la substance de Dieu » (hébr 1,3) ; et qu'il est venu jusqu'à ta prison, à ton limon, « s'enfoncer » jusqu'au coude, comme on dit, « dans la profondeur de ce limon ».
Qu'est-ce qui ne te semblera pas doux, lorsque tu auras rassemblé, pour t'en souvenir, toutes les amertumes de ton Seigneur et d'abord la situation de dépendance de son enfance ; ensuite les fatigues qu'il supporta en prêchant, la lassitude de ses allées et venues, ses tentations durant son jeûne, les veilles qu'il passa à prier, ses larmes quand il compatissait, les pièges qu'on lui tendait dans les discussions ; enfin les dangers des faux frères, les injures, les crachats, les gifles, le fouet, la dérision, les moqueries, les reproches, les clous, et tout le reste : tout ce que, durant trente-trois ans, il a « accompli » et souffert « pour notre salut au milieu de la terre » (Ps 73, 12) ?
Oh ! quelle miséricorde, et combien imméritée ! Quel amour, dont la gratuité même apporte la preuve ! Quelle faveur pour nous, et combien inattendue ! Quelle stupéfiante douceur, quelle invincible bonté !
Le Roi de gloire mis en croix pour un esclave tout à fait méprisable, pour un simple ver de terre ? « Qui a jamais entendu rien de pareil ? Qui a rien vu de semblable (Is 66,8) ? » « A peine voudrait-on mourir pour un juste » (Ro 5, 7), lui, c'est pour des ennemis et « des injustes » qu'il est mort, choisissant de s'exiler des cieux pour nous reporter aux cieux, lui l'ami de tendresse, le sage conseiller, «  le puissant soutien ».
« Que rendrai-je au Seigneur pour tout le bien qu'il m'a fait ? » (Ps 115,12) Même si en moi s'additionnaient « toutes » les vies « des fils d'Adam », tous « les jours du monde », les labeurs de tous les hommes qui furent, sont et seront, n'est-il pas vrai que ce ne serait encore rien, en comparaison de ce corps, objet des regards et de l'admiration même des Puissances d'en haut par sa conception, œuvre de l'Esprit saint, par sa naissance de la Vierge, par la pureté parfaite de sa vie, la richesse de son enseignement, l'éclat de ses miracles, la révélation qu'il a faite des mystères.


Tu le vois donc : « autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sa vie s'est élevée au-dessus de la nôtre » (Is 55, 9), et pourtant il l'a donnée à la place de la nôtre. De même qu'il n'y a pas de comparaison possible entre le rien et quelque chose, de même notre vie est sans proportion avec la sienne, celle-ci ne pouvant pas être plus digne ni la nôtre être plus misérable. Et ne va pas t'imaginer que je me livre à une exagération oratoire, car ici toute langue défaille, et l'esprit ne parvient même pas à discerner le secret d'une telle faveur.
Lors donc que je lui aurai consacré tout ce que je suis, tout ce que je puis, ne sera-ce pas comme une étoile en face du soleil, comme une goutte d'eau en comparaison d'un fleuve, comme une pierre à côté d'une tour, comme un grain de poussière auprès d'une montagne ?

Je ne possède que « deux petites pièces de monnaie » (Mc, 12, 42) — ou plutôt deux très petites pièces : mon corps et mon âme ; ou plutôt je n'en ai qu'une : ma volonté. Et je ne la donnerai pas à sa volonté à lui, alors que, dans sa grandeur, il a prévenu par tant de bienfaits un être aussi minuscule, et m'a racheté tout entier en se donnant tout entier pour moi ? Au contraire, si je retiens pour moi ma volonté, quel visage ferai-je, quels yeux aurai-je, quelle intelligence, quelle conscience, pour approcher du « cœur de la miséricorde de notre Dieu » (Lc 1, 78) ? Et comment osé-je percer ce très fort rempart qui garde Israël. ? et détourne, pour prix de mon rachat, non pas quelques gouttes -, mais des flots ■ de sang » des cinq plaies de son corps ?
Oh! « génération pervertie et fils infidèles ! » « Que ferez-vous au jour de la ruine qui vient de loin ? Vers quel secours fuirez-vou1 ? » (Is 10,3) (§ 5-6)

Prière :
Ah ! « Seigneur, je souffre violence, réponds pour moi ! » « En tes mains je remets ma » petite pièce. Toi, paie tous mes créanciers ; toi, libère-moi d'eux tous, car « tu es Dieu et non pas homme », et « ce qui est impossible aux hommes t'est possible à toi. » « Ce qui était en mon pouvoir, je l'ai fait » ; Seigneur, « tiens-moi pour excusé », car « tes yeux ont vu mon imperfection ». (§ 9)

Deuxième dette : la réparation des péchés
Saint Bernard nous invite à la conversion : tout donner dans l'amour pour échapper à l'amertume du péché.
Le Christ est-il pour autant le seul dont je sois débiteur, lui à qui déjà je peux à peine rendre quelque chose ? Mes péchés passés réclament de moi ma vie à venir, pour que « je porte des fruits dignes de la repentance » et que « je repasse toutes mes années dans l'amertume de mon âme » (Is, 38 15). « Mais de cela, qui donc est capable ? » « Les péchés que j'ai commis dépassent en nombre les grains de sable de la mer, mes fautes se sont multipliées, je ne suis pas digne de voir la hauteur du ciel en raison de l'abondance de mes injustices, car j'ai soulevé ta colère en faisant le mal devant toi ». « Les malheurs m'entourent, à ne pouvoir les dénombrer, mes iniquités m'enserrent et je ne peux plus voir. » (Ps 39,13)
Ce qui est sans nombre, comment le dénombrer ? Comment m'acquitter de mon dû, alors que je suis tenu de « payer ma dette jusqu'au dernier centime » ? En outre, « ses fautes, qui les connaît ? » (Ps 18, 13) C'est bien ce que dit saint Ambroise, cette flûte céleste : « Il m'a été plus facile de trouver des êtres qui ont conservé l'innocence que d'en trouver qui ont fait pénitence comme ils devaient. » Mais quelle que soit ma repentance, quelles que soient mon affliction et ma mortification, « c'est en raison de ton nom », et nullement en raison du mérite de ma pénitence, que « tu pardonneras mon péché, Seigneur », dit le juste, « Il est grand en effet. » (Ps 14,11)
Lors donc que tu aurais consacré à la seule pénitence toute ta vie, tout ton savoir, tout ton avoir, tout ton pouvoir, cela compterait-il pour quelque chose ?
Tu venais de donner ta vie au Christ, en échange de la sienne, et maintenant c'est le souvenir de tes péchés passés qui te la réclame à nouveau tout entière. (§ 7)

Prière
Nous courons sur tes pas, Seigneur Jésus, à cause de cette mansuétude qu'on célèbre en toi. Car nous entendons dire que tu ne méprises pas le pauvre, que tu ne repousses pas le pécheur.
Si la sagesse fait défaut, si la justice ne suffit pas, si les mérites de la sainteté nous manquent, ta Passion vient à notre secours.
Illumine mes yeux, Seigneur, « pour que je sache ce qui t'est agréable » (Sg 9,10) en tout temps, et me voici sage.
« Ne te souviens pas des égarements de ma jeunesse ni de mes erreurs » (Ps 24, 7) et me voici juste.
« Conduis-moi sur ton chemin et me voici saint » (Ps 85, 11).
Mais si ton sang n'intercède pour moi, je ne suis pas sauvé.
Pour tout cela nous courons sur tes pas. (§ 8)

Troisième dette : avoir part au Royaume
Que feras-tu donc si je te montre un troisième créancier, qui réclame pour lui ta vie avec autant d'exigence que de raison ? Je suppose que tu désires, toi aussi, posséder la cité dont il est dit : « On parle de toi pour ta gloire, cité de Dieu », cette « gloire que l'œil n'a pas vue, dont l'oreille n'a pas entendu parler, et qui n'est pas montée au cœur de l'homme » (1 Cor 2, 7.9), « ce règne de tous les siècles », qui est de vivre pour l'éternité, « dans la perpétuité des éternités ». Je pense que tu voudrais être « comme les anges de Dieu dans le ciel » : devenir aussi « héritier de Dieu et cohéritier du Christ » (Ro 8, 17) et « chanter sur les places » de Sion, cité d'en haut, un continuel « alléluia » ? Tu veux aussi voir ce qui se réalisera « lorsque le Christ aura remis le Royaume au Dieu et Père » et « que Dieu sera tout en tous ». Tu veux enfin « être semblable à Dieu » et « le voir tel qu'il est » (1 Jn 3,2).
Je ne doute pas non plus que tu souhaites avec force voir « fuir les ombres et se lever le jour ! », lorsque brillera le jour solennel après avoir chassé les nuages des réalités terrestres. Alors « le jour » ne « baissera » plus, ce sera un éternel midi, une plénitude de chaleur et de lumière : le soleil sera stable, les ombres dissipées, les marais asséchés et leurs miasmes supprimés. (cf Ap 21-22)
Pour payer le prix de tout cela, ne conviendra-t-il pas de te donner toi-même tout entier avec ce que, de toutes parts, tu pourras y joindre ? Mais lors même que tu aurais tout accompli, « ne » pense « pas » pourtant « que les souffrances de ce temps » et de ce corps « aient quelque proportion avec la gloire à venir qui se révélera en nous ». Aurais-tu l'impudence, ou l'imprudence, d'oser compter, encore pour acquérir cela, sur ta petite pièce, alors que déjà la vie du Christ et la pénitence de tes péchés se la disputent ? (§ 8)

Quatrième dette : envers notre Créateur
Que diras-tu si je conduis ici un quatrième créancier, qui par droit de préemption voudrait que les trois autres lui cèdent leur propre droit ? « Le voici à la porte », « celui qui a fait le ciel et la terre » ; il est aussi ton Créateur, toi sa créature ; tu es son serviteur, lui ton Seigneur ; lui le potier, toi l'argile. Tout ce que tu es, tu le lui dois, à lui de qui tu tiens tout : oui, principalement à lui, le Seigneur qui tout à la fois t'a créé et t'a comblé de bienfaits, qui règle pour toi l'évolution des astres, la température de l'air, la fécondité de la terre, l'abondance de ses fruits.
C'est lui vraiment, du plus profond de ton être, de toutes tes forces, qu'il te faut servir pour éviter qu'il ne te regarde avec indignation et mépris, et ne t'écrase à jamais, pour les siècles des siècles. La folie ne va pas te saisir à ce point, j'imagine, qu'ici encore tu prétendes compter ta petite pièce, voire solder ton compte3.(§ 9)
Explique-moi donc auquel de ces quatre créanciers tu te proposes « de rendre ce que tu dois », alors que chacun d'eux est si pressant qu'il pourrait, pour son propre compte, te « prendre à la gorge ».

Prière :
Ah ! « Seigneur, je souffre violence, réponds pour moi ! » « En tes mains je remets ma » petite pièce. Toi, paie tous mes créanciers ; toi, libère-moi d'eux tous, car « tu es Dieu et non pas homme », et « ce qui est impossible aux hommes t'est possible à toi . » « Ce qui était en mon pouvoir, je l'ai fait » ; Seigneur, « tiens-moi pour excusé », car « tes yeux ont vu mon imperfection ».

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