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grenier - cisterciens       
La pensée cistercienne :
            -
 message : l'amour, l'Incarnation, Marie, l'existence chrétienne
          -sermons de saint Bernard de Clairvaux à partir du Cantique des Cantiques, extraits
          - florilège : très souvent cités : l'amitié,  la joie, la prière, le repos, le silence... et bien d'autres
Un aujourd'hui de la vie cistercienne : les événements   -  Tibhirine - la lectio divina   -  la liturgie
L'histoire du monachisme cistercien
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TITRE

Poème de Frère Christophe

Dans le film
         "Des hommes et des dieux"

PRESENTATION du thème

TEXTES
Baudouin de Ford :
- Dieu est amour

Bernard de Clairvaux :
- J'aime pour aimer
- L'amour pour Dieu

          De l'amour dans l'air

Il y a de l'amour dans l'air

c'est du beau Temps qui vient
        on ne sait d'où
c'est du Bon Temps qui va
        t'emporter
        Dieu sait où

                oui
                il y a de l'Amour
                plein    dans l'air

                et même
                ça m'a    bien  l'air
                d'être

                               Quelqu'un

- Les quatre degrés de l'amour

Dans le film  DES HOMMES ET DES DIEUX

La jeune Sabrina interroge frère Luc :
- Comment on sait qu'on est vraiment amoureux ?
- Il y a quelque chose en vous qui s'y met, une présence d'un être, qui est incontrôlable, qui fait que le coeur bat, c'est l'attirance, c'est le désir, c'est très très beau, tu sais, il ne faut pas trop se poser de questions, c'est un état de fait. On est comme ça puis tout d'un coup c'est le bonheur, c'est un tas de choses. C'est un grand trouble, surtout quand c'est la première fois.
- Tu as déjà été amoureux toi ?
- Oui, plusieurs fois et puis après est arrivé un autre Amour plus grand encore. J'ai répondu à cet amour-là. Ça fait longtemps, 60 ans.

PRESENTATION DU THEME

« Je chercherai celui que mon cœur aime »
(Ct 3,2)

L'amour tient une grande place dans la littérature profane et religieuse du Moyen-âge. Sans que l'on sache bien le déterminer il est reconnu que ces deux littératures ont été mêlées et se sont influencées. C'est l'époque où trouvères et troubadours chantent l'amour courtois, et dans les grands écrits du 11ème siècle l'épopée de la chanson de Roland voisine avec la vie de saint Alexis... Le cursus scolaire donnait une grande place à l'expression verbale, il fallait savoir communiquer, convaincre, charmer... Les auteurs anciens étaient là pour servir de « modèles ». Bonne formation pour préparer des chantres de l'amour de Dieu.

Saint Bernard et d'autres pères cisterciens : Aelred de Rievaulx, Isaac de l'Etoile, Guerric d'Igny et d'autres... apportent une grande nouveauté dans la littérature spirituelle. Jusque là, l'amour était réduit à la charité, une vertu à pratiquer parmi toutes les autres. Pour les cisterciens, l'amour est l'essence même de la vie chrétienne, c'est la rencontre de deux personnes qui s'aiment, d'un tu et d'un je qui se  reconnaissent et désirent la rencontre : Dieu et l'être humain.
On a pu dire que Saint Bernard a été le premier théologien de l'Amour.
Cet amour qui relie l'être humain à Dieu, emporte toutes ses relations aux autres et à lui-même, vers un épanouissement qui peut devenir de plus en plus fort, jusqu'au jour où il entrera dans la gloire de Dieu. Il n'y a pas un renoncement à soi-même qui serait une mutilation, il y a une libération progressive de tout ce qui entrave l'amour, tous les égoïsmes, passions, irrespect de soi-même et de l'autre... Cet amour est sans mesure, et aimer Dieu de tout son être implique la participation corporelle à toute cette vie d'amour.
Les mystiques cisterciens font grande place au corps. Pas de dualisme : le corps et l'âme, mais une unité qui vit à travers un corps qui n'est ni bon ni mauvais en soi. Le corps, la chair, c'est en quelque sorte la condition humaine, la « corporéité » qui, unie à la spiritualité, fait la personne.

L'amour est le sujet dont traitent certains ouvrages : saint Bernard écrit « L'amour de Dieu », Aelred compose « Le miroir de la charité »... Plusieurs commentent dans des sermons le poème d'amour qu'est le Cantique des cantiques. Mais tous en parlent et surtout en vivent dans leurs monastères régis par « la Charte de charité ».

De courts extraits de ces ouvrages ainsi que des textes contemporains nous permettront de découvrir peu à peu l'ampleur, la profondeur de cet aspect de la spiritualité cistercienne.

 

D I E U  est  A M O U R
Extrait du Sermon 21 de Baudouin de Forde 

L'amour : le don de l'Esprit Saint lui-même.
C'est l'amour de Dieu - du Père et du Fils - qui répand ainsi l'amour dans les cœurs dilatés : telle est l'œuvre de « l'Esprit-Saint qui vous a été donné » (Rm 5, 5) et qui n'est autre que l'amour même du Père et du Fils, leur lien à tous deux.
Pour ne rien dire de tous les autres bienfaits de Dieu actuellement, comment ne pas nous sentir liés d'amour pour lui par le fait qu'il nous a donné son fils unique en vue de nous combler de grâces en lui ? Sans oublier qu'il nous a donné aussi l'Esprit Saint pour préparer notre cœur, y venir lui-même, ensemble avec son Fils et l'Esprit Saint, et faire ainsi sa demeure en nous (Jn 14, 23).
« Il y a diversité de grâces » (1 Co 12, 4), mais au milieu d'elles l'amour les surpasse toutes (1 Co 12, 11). Et puisque l'Esprit Saint le répand, ce n'est pas à tort ni sans raison qu'on dit de l'Esprit qu'il se donne lui-même. Il est grand et éminent, le don de la grâce, puisque l'auteur du don s'y donne lui-même, ne supportant pas d'être séparé du don qu'il prodigue, ni de le séparer de lui.
A-t-on reçu en don l'amour ? C'est alors à juste titre qu'on peut se glorifier en Dieu et dire : « L'amour de Dieu a été répandu dans mon cœur par l'Esprit Saint qui m'a été donné » (Rm 5, 5) Mais aurait-on un discours de sagesse, un discours de science, le don des langues ou celui de les interpréter (cf 1 Co 12,8), ou encore la grâce d'une quelconque gérance ou travail : ces dons ont beau émaner de l'Esprit Saint, si l'on n'a pas en soi l'Esprit Saint, si l'on n'a pas l'amour, on n'a pas en soi l'Esprit Saint, aussi vrai qu'il est écrit : « l'Esprit Saint qui fait les disciples fuit la fourberie » (Si 1, 5).

Cité dans "Pain de cîteaux", n° 22, série 3 

 

J'AIME POUR AIMER

Extrait du sermon 83 sur le Cantique de St Bernard de Clairvaux


Dieu exige d'être   craint     comme Seigneur
              d'être   honoré   comme Père
              d'être   aimé,     comme Epoux.

Lequel des trois l'emporte, lequel a le plus de prix ? L'amour bien sûr. 
Sans lui la crainte implique le châtiment et l'honneur est sans beauté. 
Servile est la crainte tant qu'elle n'est pas affranchie par l'amour. Et l'honneur qui ne provient pas de l'amour n'est pas honneur mais flatterie. 
Certes, « à Dieu seul l'honneur et la gloire » ; mais Dieu n'acceptera ni l'un ni l'autre, s'ils n'ont pas été assaisonnés du miel de l'amour. 
L'amour se suffit à lui-même, 
il plait par lui-même et pour lui-même. 
Il est à lui-même son mérite, à lui-même sa récompense. 
L'amour ne cherche hors de lui-même ni sa cause ni son fruit : en jouir, voilà son fruit. 
J'aime parce que j'aime ; j'aime pour aimer. 
Grande chose que l'amour, si du moins il remonte à son principe, s'il retourne à son origine, s'il reflue vers sa source pour y puiser sans cesse son pérenne jaillissement. 
De tous les mouvements de l'âme, de ses sentiments et de ses affections, l'amour est le seul qui permette à la créature de répondre au Créateur, sinon d'égal à égal, du moins dans une réciprocité de ressemblance
Par exemple, si Dieu se met en colère contre moi, riposterai-je par une colère semblable ? Non, certes, mais je craindrai, je tremblerai, j'implorerai le pardon. S'il règne, il me faut le servir ; s'il commande il me faut lui obéir et non exiger à mon tour du Seigneur service et obéissance. 
Maintenant, vois comme il en va tout autrement de l'amour. Quand Dieu aime, il ne veut rien d'autre que d'être aimé, sachant que ceux qui l'aimeront seront bienheureux par cet amour même. (§ 4)
La seule richesse, le seul espoir de l'épouse est l'amour. L'épouse en déborde, et l'Epoux en est content. Il ne demande rien d'autre, et elle n'a rien d'autre à offrir. L'amour de l'Epoux, ou mieux, l'Epoux qui est amour, ne demande qu'amour réciproque et fidélité. (§ 5)

 

L'A M O U R  pour D I E U
Extrait de " Traité sur l'amour " de St Bernard de Clairvaux

Vers 1132 Bernard de Clairvaux écrit ce qui est sans doute son quatrième ouvrage : "Traité de l'amour de Dieu". Il l'écrit pour répondre à la demande d'Aimeric, cardinal-diacre et chancelier de l'Eglise romaine. 
Au début de la préface du livre Bernard précise : « Je ne m'engage pas à répondre à tout : c'est seulement à ce qui porte sur l'amour de Dieu que je répondrai ce que Dieu même me donnera. Voilà en effet le sujet le plus doux à goûter, le plus sûr à traiter et le plus utile à écouter ». 
L'ouvrage est court. Dans une première partie, Bernard expose pourquoi il faut aimer Dieu.

Vous voulez donc apprendre de moi pourquoi et dans quelle mesure il faut aimer Dieu. 
Je vous réponds : la cause de notre amour de Dieu, c'est Dieu même ; la mesure c'est de l'aimer sans mesure
Il y a deux raisons d'aimer Dieu pour lui-même : d'abord parce qu'on ne peut rien aimer avec plus de justice ; ensuite parce qu'on ne peut rien aimer avec plus d'avantage. Il l'a certainement bien mérité de nous, lui qui s'est donné à nous sans même que nous l'ayons mérité. Que pouvait-il, même lui, donner de meilleur que lui-même ? Si donc, quand on cherche pourquoi aimer Dieu, on cherche son mérité, voilà le principal : « Il nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 10). 
Qui a aimé ? N'est-ce pas celui à qui tout esprit rend cet aveu : « C'est toi, mon Dieu, car tu n'as pas besoin de mes biens » (Ps 15, 2) 
Quels sont ceux qu'il a aimés ? : « Alors que nous étions encore ses ennemis, dit l'Apôtre, nous avons été réconciliés avec Dieu. » (Rom 5, 10). Dieu aime donc gratuitement. 
Mais dans quelle mesure ? Celle que Jean nous dit : « Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique » (Jn 5, 16) et le Fils dit aussi en son propre nom : « Personne ne saurait avoir de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis « (Jn 15,13) (n° 1) 
J'ai dit plus haut : la cause de notre amour, c'est Dieu. J'ai dit vrai. 
C'est lui qui donne l'occasion, lui qui crée l'attachement, lui qui mène le désir à son achèvement. 
Il a fait qu'on l'aime ; ou plutôt il s'est fait homme pour être aimé.
Afin qu'on ne l'ait pas aimé en vain, nous espérons pouvoir l'aimer un jour avec plus de bonheur encore. Son amour prépare et récompense le nôtre. « Tu es bon, Seigneur pour l'âme qui te cherche. » (Lam 3, 25) Que sera-ce donc pour celle qui te trouve ? Car voici la merveille : personne n'est capable de te chercher s'il ne t'a d'abord trouvé. tu veux donc être cherché pour être trouvé. Certes on peut te chercher et te trouver, mais non te prévenir. Car, bien que nous disions : « Au matin, ma prière te préviendra » (Ps 87, 14), on ne peut pourtant pas mettre en doute la tiédeur de toute prière que n'aura pas prévenue ton inspiration. (n° 22) 
Nous sommes donc aimés par l'immensité, aimés par l'éternité, aimés par la charité qui dépasse toute science ; aimés par Dieu dont la grandeur est sans limite. 

Prière
 :« Je t'aimerai, Seigneur ma force, mon soutien, mon refuge, mon libérateur » (Ps 17, 2-3). 
Je t'aimerai pour le don que tu me fais, et à ma mesure, 
bien au-dessous de ce que je dois, mais non pas certes, au-dessous de ce que je peux. 
Bien que je ne puisse donner autant que je dois, je ne saurais aller au-delà de ce que je peux. 
Je pourrai davantage quand tu pourras me donner plus, jamais cependant autant que tu en es digne. (n° 16)

 

LES   D E G R E S    DE    L'AMOUR
Extrait de " Traité sur l'amour " de St Bernard de Clairvaux

Dans la deuxième partie du "Traité sur l'Amour" Bernard de Clairvaux décrit le chemin qui peut conduire à l'accueil de l'Amour total... dans la vie céleste ! 
Il distingue quatre degrés pour ce parcours : 
- 1. l'homme s'aime pour lui-même. 
- 2. l'homme aime Dieu pour soi. 
- 3. l'homme aime Dieu pour Dieu. 
- 4. l'homme s'aime pour Dieu. 

Le premier degré de l'amour : l'homme s'aime pour lui-même. 

Il faut dire maintenant le point de départ de notre amour tout comme on a dit où se trouve son achèvement.
L'amour est l'un des quatre sentiments naturels. On les connaît : il n'est pas nécessaire de les nommer.*
Ce qui est naturel, il serait bien juste de le mettre en toute priorité au service de l'auteur de la nature. De là vient l'énoncé du premier, du plus grand commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, » etc. Mais puisque la nature est trop fragile et trop faible, la nécessité lui commande de se mettre d'abord au service d'elle-même.
C'est l'amour charnel, par lequel, avant tout, l'homme s'aime pour lui-même. Car il n'a encore d'attrait que pour lui-même, comme dit l'Ecriture : « Ce qui est animal vient d'abord, ensuite ce qui est spirituel » (1 Cor 15, 46). L'apôtre ne parle pas d'un commandement qui est donné, mais il signale un fait inhérent à la nature. En effet, « qui a jamais haï sa propre chair ? » (Ep 5, 29) Mais si cet amour naturel se met, à son habitude, à se répandre (comme une rivière) et à se déverser avec excès et, sans se contenter du lit de la nécessité, semble dans son débordement démesuré s'étaler jusque dans les plaines de la volupté, aussitôt l'opposition d'un commandement réprime cet excès en disant : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». (Mt 22, 39) 

Que l'homme se permette tout ce qu'il veut, à condition de se souvenir de l'obligation d'en accorder tout autant à son prochain. Certes si tu suis le conseil du Sage et « te détournes de tes plaisirs », si - selon l'enseignement de l'apôtre - « tu te contentes de la nourriture et du vêtement tu n'auras pas grand mal » à soustraire un peu ton amoureux désir de la chair** qui fait la guerre à l'âme. A coup sûr, ce que tu retranches « à l'ennemie de ton âme », tu le communiqueras sans peine à mon avis, à celui qui partage ta nature. Alors ton amour sera équilibré et juste, si ce qui est retranché à tes propres plaisirs n'est pas refusé aux besoins de ton frère. C'est ainsi que l'amour charnel devient aussi social, quand il s'élargit en vue du bien commun. 

Toutefois pour que l'amour du prochain réalise parfaitement la justice, il faut nécessairement que Dieu en soit la cause. Sinon comment peut-il aimer son prochain de façon désintéressée, celui qui ne l'aime pas en Dieu ? Or, il ne peut aimer en Dieu, celui qui n'aime pas Dieu. Il faut donc d'abord aimer Dieu pour pouvoir aussi aimer en Dieu le prochain. Or Dieu qui est l'auteur de tout bien, fait aussi que nous puissions l'aimer.

* : voici le quatuor le plus connu : l'amour et la joie, la crainte et la tristesse.
°° Rappel (voir "ouverture du thème") lorsque saint Bernard et autres pères du 12ème siècle parlent de la "chair", de ce qui est "charnel", c'est l'être humain dans sa totalité qu'ils désignent.


Le deuxième et le troisième degré de l'amour :  l'homme aime Dieu pour soi      et     aime Dieu pour Dieu

L'homme aime donc Dieu maintenant, mais pour le moment c'est pour soi, pas encore pour Dieu. Il y a pourtant une sorte de sagesse à distinguer ce que l'on peut par soi-même et ce que l'on peut avec l'aide de Dieu, et à se garder de s'opposer à celui qui nous garde de tout mal

Mais si les épreuves s'abattent et se multiplient de manière à provoquer de fréquents retours à Dieu et à obtenir de lui une libération aussi fréquente, ne faut-il pas que cet homme aussi souvent libéré s'amollisse de reconnaissance pour son libérateur, quand bien même il aurait une poitrine d'airain et un cœur de pierre, de sorte qu'il en aime Dieu, non plus seulement pour soi-même mais aussi pour Dieu ?
Oui, à l'occasion de ses fréquentes nécessités, inévitablement l'homme s'adresse souvent à Dieu ; en le goûtant, il éprouve combien le Seigneur est doux. De ce fait pour aimer Dieu de façon désintéressée, le goût de sa douceur constitue désormais un attrait plus fort que la nécessité de son aide. 
« Ce n'est plus à cause de la nécessité que nous aimons Dieu ; nous-mêmes avons goûté et nous savons que le Seigneur est doux » (Ps 33,9). 

Pour quelqu'un qui est animé d'un tel sentiment, il ne sera plus difficile d'observer le commandement de l'amour du prochain. Car il aime Dieu véritablement et il aime en conséquence tout ce qui est à Dieu. 
Son amour est chaste*, et il se plie sans difficulté au chaste commandement de rendre son cœur toujours plus chaste dans l'obéissance et la charité, comme le dit l'Ecriture. 
Son amour est juste et il embrasse volontiers un commandement juste.
Cet amour est agréable parce qu'il est gratuit. 
Il est chaste parce qu'il ne s'exprime pas de langue ni de bouche, mais en acte et en vérité. 
Il est juste parce que tel on le reçoit, tel aussi on le rend. 
En effet, qui aime de la sorte n'aime sûrement pas autrement qu'il est aimé. A son tour lui aussi recherche non son avantage mais celui de Jésus-Christ ; de même que celui-ci a recherché notre avantage - ou plutôt nous-mêmes - et non pas le sien. 

Il aime de la sorte celui qui dit : « Rendez grâce au Seigneur car il est bon » Celui qui rend grâce au Seigneur non parce qu'il est bon pour lui, mais parce qu'il est bon, celui-là aime vraiment Dieu pour Dieu et non pour soi-même. 
Tel n'est pas l'amour de celui dont on dit : Il te rendra grâce pour tes bienfaits envers lui. 
Voilà le troisième degré de l'amour où désormais on aime Dieu pour Dieu même.

*Chaste : dépouillé de tout retour sur soi. 

Le quatrième degré de l'Amour l'homme s'aime pour Dieu.

Heureux qui a mérité d'atteindre le quatrième degré où l'homme ne s'aime que  pour Dieu
« Ta justice, Seigneur, ressemble aux montagnes de Dieu. » (Ps 35, 7) 
Cet amour est une montagne, et une haute montagne de Dieu. C'est bien « une montagne solide, une montagne fertile. Qui gravira la montagne du Seigneur ? Qui me donnera des ailes de colombe ? je m'envolerai et me reposerai. » (Ps 67,16 ; 23,3 ; 54,7) 
« Ce lieu a été établi dans la paix et cette demeure se trouve en Sion.» (Ps 75,3) 

Quand cette âme se dirigera-t-elle tout entière vers Dieu pour « s'attacher à Dieu et devenir avec lui un seul esprit « ? Alors elle pourra dire : « Ma chair et mon cœur ont défailli, le Dieu de mon cœur et ma part, c'est Dieu pour toujours.» (Ps 72, 26) 

Je proclamerai saint et bienheureux celui à qui il a été donné de faire l'expérience d'une telle faveur en cette vie mortelle à de rares moments, ou même une seule fois et cela en passant et à peine l'espace d'un instant. Se perdre en quelque sorte comme si l'on n'existait pas, ne plus avoir aucune conscience de soi-même, « être arraché de soi-même et presque réduit à rien », tout cela appartient à la condition de l'homme céleste et non plus à la sensibilité de l'homme terrestre. 

Toutefois, puisque l'Ecriture dit que Dieu a tout fait pour lui-même, il arrivera assurément qu'un jour l'œuvre se conforme à son auteur et s'accorde à lui. Il faut donc qu'un jour ou l'autre nous entrions dans son sentiment : comme Dieu voulut que tout existât pour lui, ainsi faut-il que nous aussi nous voulions que ni nous-mêmes ni rien au monde n'ait existé ou n'existe que pour lui, c'est-à-dire pour sa seule volonté, non pour notre plaisir. Notre joie ne sera pas tant d'apaiser nos besoins ni d'assurer notre bonheur que de voir l'accomplissement de sa volonté en nous et par nous. 
Etre ainsi touché c'est être déifié. De même qu'une petite goutte d'eau versée dans beaucoup de vin semble s'y perdre totalement en prenant le goût et la couleur du vin, de même que le fer plongé dans le feu devient incandescent et se confond avec le feu, dépouillé de la forme antérieure qui lui était propre ; et de même que l'air inondé de la lumière du soleil se transforme lui-même en clarté, si bien qu'on le croirait être la lumière plutôt qu'être illuminé, ainsi sera-t-il nécessaire que chez les saints tout attachement humain se liquéfie d'une façon indicible, et se déverse totalement dans la volonté de Dieu. 

Je crois, pour ma part, qu'on n'observera en toute perfection le commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces » qu'au moment où le cœur lui-même ne sera plus contraint de penser au corps, où l'âme cessera de lui donner la vie et la sensation de son état actuel et où la force, soulagée des peines inhérentes à ce corps, sera affermie par la puissance de Dieu. La raison en est qu'il n'est pas possible de recueillir parfaitement en Dieu, cœur, âme et forces et de les placer devant sa face, aussi longtemps qu'attentifs à ce frêle corps accablé de misères et écartelés par lui, ils doivent assurer son service. Par conséquent c'est dans un corps spirituel et immortel, dans un corps intègre, paisible, pacifié et soumis en tout à l'esprit, que l'âme peut espérer saisir le quatrième degré de l'amour, ou plutôt être saisie en lui, car c'est à la puissance de Dieu de donner ce corps à qui il veut, et non au zèle de l'homme de l'obtenir. Alors, dis-je, elle obtiendra facilement le suprême degré quand elle s'élancera dans une course rapide et fervente vers « la joie de son Seigneur », sans qu'aucune séduction charnelle ne le retarde ni qu'aucune importunité ne l'inquiète.

 

 

 

 

  
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